Histoire de la qualité : le témoignage d'un ancien cadre de Philips Caen
En tant que responsable de production (1981-1998), je vais être témoin et acteur de cette « révolution de la Qualité » au milieu de ces années 80.
Mon entreprise (Philips Composants) sera parmi les premières à suivre le modèle de l’industrie automobile et créer des cercles qualités… à la mode asiatique.
Ce ne fut pas un franc succès malgré toute notre bonne volonté voire persévérance. Pour ma part, je pense que la culture occidentale, à l’opposé de celle nipponne, n’était pas préparée à de telles démarches participatives. Peut-être aussi que les opérateurs de production n’étaient pas prêts ?
Nous les abandonnerons dans leur forme historique pour s’orienter vers la création de groupes de travail tout aussi participatifs qui feront parie de la culture d’entreprise jusqu’à créer à la fin des années 90 un concours mondial QIC (Quality Improvement Contest).
Pour impulser un réel changement dans notre approche Qualité, notre entreprise va choisir le modèle développé par Phil Crosby « Quality is free ».
Retour en arrière
Au sortir de son engagement au sein de la Navy pendant la dernière guerre et celle de Corée, son diplôme de podologue ne le prédisposait en rien à sa future carrière. Après avoir travaillé au plus bas de l’échelle, il va devenir responsable du contrôle qualité du programme des fusées Pershing dans l’entreprise Martin Marietta.
Il y contestera rapidement l’application de la « Mil standard » qui fixait un « niveau de qualité acceptable » en déclarant :
« Comment peut-on écrire dans un contrat que le fournisseur livrera x pour cent de pièces défectueuses à son client et que tout le monde sera content ? ».
Il va avoir le mérite de traduire en langage populaire accessible à tous les concepts de ses prédécesseurs comme Deming et Juran.
Dès 1961, il propose sa méthode « zéro défaut » dans le cadre des programmes APOLLO. Puis, Il rejoint la société ITT dont il va tenir le poste de Directeur Qualité pendant quatorze années avant de se lancer dans le consulting en 1979 et créer sa propre entreprise (Philip Crosby Associates, Inc.), en bon américain qu’il était.
Il revendra PCA Inc. en 1989, société qui « pesait » alors 80 millions de Dollars, employant 325 dans le monde avec des bureaux aux États-Unis, en Europe, en Australie, au Japon et en Asie du Sud-Est... « Business is business » !!
Il va contribuer à la démocratisation de la qualité d’autant plus que n’étant ni statisticien, ni qualiticiens, ses ouvrages seront particulièrement compréhensibles même par le grand public. Ses livres dont le plus emblématique est « Quality is free » sont très faciles à lire et ne nécessitent aucune connaissance particulière à l’opposé d’autres auteurs célèbres déjà cités (Deming, Juran, …).
Tout au long de sa vie (il nous a quittés en 2001), il valorisera son concept au travers de 13 ouvrages, le dernier en étant une sorte d’autobiographie testimoniale (1999).
« Quality is free » fut notre livre de chevet pendant plus d’une décennie. Il commence par ces phrases annonciatrices de la révolution de la qualité.
« La qualité est gratuite, ce n’est pas un cadeau mais elle est gratuite. Ce qui coûte de l’argent, ce sont les choses de non-qualité, toutes les actions qui ne permettent pas de faire bien du premier coup »
Il illustre le zéro défaut ainsi « Qui tolèrerait que l’on accepte de laisser tomber par terre un bébé à la maternité ? »
Philip Crosby définit la qualité comme étant « la conformité à certaines spécifications établies par le management suite aux demandes des clients ».
Ainsi, le lien est fait entre les attentes du client et l’impact du management sur la qualité.
Cette définition est reprise dans les « 4 piliers de la qualité » (« The Four Absolutes of Quality Management ») :
- La qualité est définie en tant que conformité aux spécifications
- La qualité résulte de la prévention, pas du contrôle
- Le standard de performance doit être le Zéro Défaut
- La qualité se mesure selon le prix de la non-conformité, pas selon des indices.
Crosby propose un programme en 14 étapes dont je souhaite commenter les principales : En premier lieu, l’engagement de la Direction :
Cette initiative par le haut va devenir au fil du temps un prérequis de tout projet d’entreprise, petite ou grande.
On pourra ici reprendre le proverbe « l’exemple vient d’en haut »
C’est une condition donc nécessaire- mais pas suffisante- et tous les référentiels modernes en font état, ISO en particulier.
Puis, Crosby propose la création d’Equipes d’amélioration de la Qualité pluridisciplinaires (Quality Improvement teams), bras armé en quelque sorte de la Direction dans ce domaine.
Pas de programme d’amélioration quel qu’il soit sans indicateurs :
Crosby sera le premier à définir le coût de la qualité (en particulier de la non-qualité).
Mais, la majorité des autres étapes vont concerner la ressource humaine au cœur de son dispositif.
« Les employés de l’entreprise doivent être sensibilisés à la qualité et à son importance en formant les chefs d’équipe et en communiquant à travers des brochures, des films et des affiches. Ils doivent être informés de l’engagement de leur direction »
Après la sensibilisation, on parlera de formation de tout le personnel, Crosby suggérant un programme de 30 heures.
Ce programme fait la part belle aux processus de suppression de causes d’erreurs (Error Cause Removal ECR) et d’actions correctives.
Il démontre que l’impact d’une erreur au niveau de la Direction n’a aucune commune mesure avec celle de l’opérateur.
Donc, ces processus concernent tous les niveaux de l’entreprise. « Nous devons encourager les employés à identifier et à corriger les défauts avec un système d’actions correctives s’appuyant sur une méthodologie qui identifie la cause première du problème afin de l’éliminer ».
L’opérateur par exemple doit avoir la possibilité de faire remonter des anomalies sources d’erreurs. Au final, il devient l’acteur de sa propre qualité et de l’amélioration de son poste de travail.
Crosby n’oublie pas de parler de reconnaissance, outil de motivation de tous sur ce thème.
« Ceux qui atteignent des objectifs ou obtiennent des résultats remarquables devraient être honorés par des incitations non financières. C'est une étape essentielle pour ce programme d'amélioration de la qualité ».
Le concept « zéro défaut » si cher à l’intéressé sera valorisé non seulement dans toute la communication et la formation mais aussi en créant un évènement « le jour zéro défaut » « Cette journée signifie pour tous les membres de l’organisation que leur travail doit respecter un nouveau standard de performance plus élevé ».
Crosby à Caen
Aidés en cela par un consultant, nous allons mettre ce programme en œuvre dans l’usine de Caen avec une certaine fidélité au fond certes mais aussi la forme.
La Direction va dédier un bâtiment annexe pour permettre la formation d’environ 1500 employés, de l’opérateur au cadre.
Petit clin d’œil de l’histoire, ce bâtiment de situait rue Colbert à Caen, personnage du 17ème siècle qui fut le premier à évoquer la qualité de la production des « manufactures » françaises.
« Si nos fabriques imposent à force de soin la qualité supérieure de nos produits, les étrangers trouveront avantage à se fournir en France et leur argent affluera dans le royaume ».
C’est d’ailleurs par cette phrase que débuteront toutes les sessions de formation.
Ce qui va être remarquable, c’est que la formation sera assurée par l’encadrement lui-même en binôme, quoi de plus exemplaire pour afficher …l’engagement de la Direction.
Pour ma part, j’ai compté 21 sessions où je fus animateur (3 jours pour l’encadrement et un jour pour les opérateurs).
Au-delà du message fort vers tout le personnel, c’était une excellente formation …de formateur.
A l’issue de ce cycle, nous étions plus affutés à bien nous exprimer, à préparer une réunion
– ne pas oublier une lampe de rechange pour le rétro-projecteur - et « vaccinés »- mot employé par Crosby- quant à l’application du zéro défaut.
Je me rappelle quelques temps forts de cette formation et ses études de cas.
- Le cas « Brouqual » : celui d’une brouette fabriquée à l’ancienne tellement bourrée d’imperfections qu’elle était livrée… avec une pompe pour gonfler le pneu et des clés pour resserrer les écrous.
- Le cas « Why me ? » : symbolisé par un doigt pointé vers l’intéressé, il s’agissait de démontrer que la rechercher des causes d’un problème commence par une introspection.
Cela nous a rappelé un cas douloureux de notre non-qualité de livraison, une telle démarche nous aurait permis de gagner un temps précieux et …de garder un client. - La notion de client interne : qui sont mon client et mon fournisseur dans la chaine de la valeur ? c’était en quelque sorte l’anticipation des fameuses « parties prenantes » dont la notion émergera dans les années 90.
- La gestion des conflits inter-équipes : nous étions tous très formés à l’animation d’une équipe mais moins à gérer un conflit avec l’équipe voisine et pourtant c’est un cas fréquent. Je me rappelle un exercice de ce type où mon interlocuteur d’une autre équipe refusa de rentrer dans un semblant de dialogue, cherchant en fait à imposer son point de vue sans discussion possible.
Nous respectâmes, au moins au début, les 14 étapes de Crosby, en particulier le jour Zéro défaut où chaque employé reçut une montre « zéro défaut » symbole…. Qui s’avéra défectueuse … triste présage ou excellent avertissement.
Epilogue
Je ne reviendrai guère sur cette problématique de la qualité, stricto sensu, car, en fait, elle va s’intégrer dans la gouvernance de l’entreprise.
Pour bien montrer son acceptabilité au niveau du comité de Direction, le directeur Qualité verra sa mission enrichie par celle de Sécurité, de l’Environnement puis de la santé (QHSE). J’en assumerai la fonction de 2002 à 2005 d’ailleurs.
Il est vrai que la mise en place des normes ISO à la même période va rythmer notre vie professionnelle.
De nouvelles contraintes ? je prendrai toujours ces certifications non pas comme des contraintes mais des opportunités.
Certes, la lourdeur toute bureaucratique des premières versions de l’ISO 9001 avaient de quoi rebuter un homme de production mais il y a eu toujours de quoi en retirer en termes d’amélioration continue.
Assez facilement certifiés ISO 9001, nous enchainerons de nombreuses certifications de branche, comme l’automobile (FORD, CHRYSLER…) mais surtout au milieu des années 90, la norme ISO14 000, la première relative à l’environnement.
Puis, viendra à la fin de cette décennie ce que je qualifie de management de la qualité élargi avec le concept de Développement Durable, Responsabilité Sociétale des entreprises en fait.
On ne parlera plus de Qualité, mais de performance globale mais plus simplement, sans prétention, d’excellence.
Daniel DIGUET
AQM Normandie
Février 2021
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